dimanche 6 février 2011

Chinoiseries souterraines

J’avais déjà proposé à Yves de continuer son retour à la Sout’ en lui faisant visiter d’autres sources proches, notamment dans l’Ain. Car il faut battre son frère tant qu'il est chaud, et se mouiller le chinois avant qu'il n'ait froid ! C’est ainsi que je l’ai convié, en ce lendemain de la Passerelle apnée, à aller se taper un museau de cochon ! Cela signifie - en langage codé – aller plonger au Golet du Groin (à ne pas confondre avec le Groin du goret). Ça ne veut pas dire dire qu’il est gaulé comme un goret !

Le Groin est une charmant résurgence vers Artemare (au nord de Belley), plus connue pour la pratique du canyon que pour celle de la plongée. Et pourtant. C’est ainsi qu’il est courant, à la belle saison, que d’innocents promeneurs croisent de curieux personnages en néoprène : certains ont des grosses godasses et des cordes, ils partent vers l’aval ; d’autres encore plus incongrus s’affublent de casques, palmes et lourds scaphandres pour partir vers l’amont souterrain. Question type du promeneur sus-nommé : « Mais vous plongez... là ?! ». On sent bien qu’il préférerait, pour sa tranquilité d’esprit qui refuse l’idée que des aliénés se promènent en toute liberté, qu’on lui réponde que non. Mais si. Un de ces jours il faudra que l’on mette un panneau « Attention plongeurs » pour prévenir les âmes sensibles.
Pourtant la vasque est belle. Elle occupe le fond d’une petite reculée, captive d’un éboulis de gravier qui descend à la rencontre de la roche. Le niveau d’eau peut varier fortement, d’une dizaine de mètres entre le niveau d’étiage et celui qui lui permet de couler à travers les rochers moussus qui surmontent l’éboulis et marquent le début du canyon. Au plus bas la surface peut se réduire à une douzaine de mètres carrés, tandis qu’au plus haut le bassin fait facilement 20 m de diamètre. Surtout, pour le plongeur, dans le premier cas le portage du matériel sera une plaisanterie mais la profondeur atteindra les 26 m, tandis qu’à l’étiage la descente – et surtout la remontée - du matériel sera une épreuve compensée par une ballade à seulement -15 m.
Nous sommes aujourd’hui quasiment à l’étiage. Il faudra porter, mais nous serons beaucoup moins limité en autonomie durant la plongée. Nous commençons donc à acheminer le matériel au bord de l’eau. Outre nos ori-peaux de néoprène étanches habituelles, et les accessoires lumineux et redondants, nous plongerons : Yves avec mon bi 9 litres et un relai, moi avec un bi 10. Yves est prévenu, aujourd’hui ce ne sera plus seulement ballade, mais on va bosser ! L’heure et demi de route a été mise à profit pour un briefing détaillé... Je mets en place une corde d’escalade du sommet de l’éboulis jusqu’à l’eau, et qui associée à une luge (oui, oui : un truc piqué à un gosse) nous aidera tout à l’heure à remonter une partie du bazar.

Je guide Yves jusqu’au départ du fil, et je le laisse passer devant. J’observe comment il suit le fil, son positionnement par rapport à celui-ci, son examen attentif de l’état, etc. La visibilité est moyenne mais correcte. La roche ici est recouverte d’une fine pellicule d’argile, qui ne demande qu’à se mettre en suspension dans l’eau à la faveur d’une maladresse. Yves est attentif, sa stabilisation bien évidemment sans reproche (le moins que l’on puisse attendre d’un MF1 émérite ☺), et il a d’emblé adopté le palmage dit « frog-kick ». Cette méthode de palmage, façon brasse, permet de moins soulever les sédiments sur le fond de la galerie. Je lui ai demandé d’être critique avec le fil en place et il se propose 2-3 fois de rattacher des amarrages qui semblent avoir lâché. Mais je le vois dubitatif, ne voyant visiblement pas où ce caoutchouc libre pouvait bien être accroché ! C’est que certaines section du fil (en fait ici une cablette inox) ont été complètement repositionnées dans la galerie pour améliorer le cheminement : les anneaux de chambre à air ont été laissés sur le fil mais ne sont plus du tout à côté de leur point d’ancrage initial... Je lui fais signe d’oublier et nous continuons notre progression. Nous avançons dans une sorte de canyon étroit, surmonté en plafond d’une faille horizontale qui s’éloigne parfois sur le côté d’une dizaine de mètres. Un passage plus loin oblige à se glisser dans cette faille par une étroiture relative. Relative parce que, si on observe bien le passage (mais ce recul demande l’aisance que donne la pratique) on peut le négocier de différentes manières. Yves est un peu trop ‘le nez sur le fil’ et il suit celui-ci avec difficulté, tandis qu’un mètre avant je suis passé en douceur... Il me voit arriver et réalise l’alternative. Le métier rentre Padawan !
Presque tout de suite après il est temps pour Yves de laisser son relai, nous sommes à environ 200m de l’entrée. Dépose et reprise du relai sont effectivement partie intégrante du programme du jour. Il le décroche sans problème et hésite un peu sur la façon de l’accrocher. Je lui montre comment utiliser la configuration du terrain pour l’accrocher sans risque au fil, tout en étant sûr de ne pas le rater au retour. Plus léger, il reprend sa progression. Tout à coup Yves s’arrête, perplexe. Nous sommes arrivés à un carrefour, celui du shunt (une galerie parallèle) qui débute à 270m de l’entrée. Le fil que nous suivions depuis un moment à main droite continue de même en remontant, mais un autre fil part à gauche. Celui-ci n’est pas raccordé au fil principal que nous suivons et, le temps que Yves intègre la donnée et se remémorre le briefing à ce sujet, nous repartons.
La remontée progressive depuis le point bas de la galerie, atteint très vite après l’entrée, s’accentue. Nous sommes maintenant à 5-6 m de profondeur. A environ 300m de l’entrée je lui fais faire demi-tour. Pour sa première fois dans cette cavité c’est bien suffisant. Surtout je prévois qu’il aura très froid aux mains le temps de rentrer, car il n’a pas pris de gants pour être plus habile de ses doigts dans les exercices prévus. Le retour lui permet d’observer de fort belles volutes d’argile résultant de notre passage, notamment là où il a posé le relai. La récupération de celui-ci se fait sans souci et nous progressons vers la sortie.
Environ 40m avant celle-ci je l’arrête et lui montre une direction à suivre sur la droite. Invisible en suivant le fil se trouve une galerie que je sais ne pas être équipée. Ce sera le lieu de l’exercice de fil : je lui tends mon dévidoir afin qu’il pose un fil de progression en respectant les consignes. J’observe ses choix et corrige si nécessaire au fur et à mesure, en m’efforçant de lui montrer ce qui oriente la décision. Essentiellement il s’agit de ne pas choisir compliqué pour attacher son fil quand une option simple est à portée de bras. Ne pas non plus couper inutilement la galerie : quand on reviendra un fil à travers est un obstacle, obligeant de plus à changer de main pour le suivre. Il ne faut pas oublier qu’au retour la visibilité se sera peut-être annulée ! C’est un exercice, mais pas seulement : nous n’avons que ce fil qu’il pose pour retrouver le chemin de la cablette qui mène à la sortie... Pour une première fois cela suffira, j’interromps l’exercice et lui fais signe de rembobiner. C’est l’occasion de constater que le maniement du dévidoir n’est pas inné.Nous avons rejoint la galerie principale, je vérifie qu’Yves sait bien dans qu’elle direction partir et nous rejoignons la vasque. Pas de halo de lumière pour cette fois, car entre l’heure tardive de notre mise à l’eau, et l’encaissement de la source il fait déjà nuit pour nous. Je récupère la luge que j’avais coincée sous l’eau.
J’aide Yves à se déséquiper et nous chargeons la luge avec son bloc relai et le plomb. J’amarre le tout, l’accroche à la corde, et nous entreprenons de remonter nos bi. J’entends mon camarade qui souffle derrière moi, découvrant "le petit inconvénient" du Groin. C’est que dans le gravier, chaque pas fait péniblement vers le haut, arraché douloureusement à la pesanteur, est immédiatement sanctionné d’un petit recul dû à l’appui fuyant... En fait la remontée, qui d’en bas semble pourtant déjà conséquente, est à considérer comme faisant en fait une fois et demi ce qu’elle paraît ! Au moins ça réchauffe. Arrivé à la voiture nous nous déchargeons de nos fardeaux et reprenons notre souffle. Puis nous retournons chercher ce qui reste, tirant la luge avec la corde.

Enfin nous pouvons nous changer et retrouver le confort de nos habits civils. Yves me donne ses premières impressions. Il a beaucoup aimé, voire plus que la Tannerie à Bourg St-Andéol, appréciant particulièrement la diversité d’aspect de la galerie. La roche très travaillée par l’eau offre de nombreuses sculptures, qui se révèlent dans les jeux d’ombre et de lumière. Il est emballé et moi satisfait, heureux de sa joie qui promet une suite : il en veut encore !
Le retour sera l’occasion du debriefing, nous le continuerons dans une pizzeria apparue fort à propos sur notre route, aubaine du dimanche soir pour les gorets du Groin (nous sommes cracra).

Dans le cochon tout est bon,
Au Groin nous reviendrons !

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